DONNÉES POUR SERVIR A LA CONNAISSANCE DE LA FAÏENCE DE LIMOGES

Par Eric BALBO


Extrait de

Ethnologia, Etudes Limousines, revue d'ethnologie et des sciences sociales

nos 57-60, 1991

(L'édition primitive dans Ethnologia n'avait pu permettre la couleur, j'ai donc augmenté cette publication de dessins et photos couleur)




Bien que nous connaissions l'existence d'une manufacture de faïence à Limoges dans la première moitié du XVIIIème siècle, l'évolution de sa production tant quantitative que qualitative nous échappe encore en grande partie.

La faïence en usage à Limoges au début du XVIIIème siècle

Inventaire d'un marchand faïencier en 1737

Quelle était la provenance de la vaisselle de faïence utilisée à Limoges au début du XVIIIème siècle ? Nous pouvons en avoir une "image" grâce à l'inventaire après décès effectué en 1736 chez un marchand faïencier de Limoges1.

Celui-ci révèle les provenances suivantes (fig. 1 et 2) : Nevers (78,2 %), La Rochelle (14,8 %), Rouen (3,8 %) et la Hollande (3,2 %).

faienc1

Nous observons que les échanges de cette marchandise se font selon deux voies principales :

  • une, entièrement terrestre, partant de Nevers vers Limoges, via Bourges et Châteauroux,

  • l'autre, mixte, maritime puis terrestre, pour les provenances de Hollande et Rouen via La Rochelle.

Cette répartition peut s'expliquer par deux facteurs : à cette époque les relations par voie terrestre n'étaient pas encore exemptes de danger2 pour ce produit fragile, et le transport maritime et fluvial était privilégié lorsque cela était possible. L'autre critère étant la préférence de la population limousine pour telle ou telle production. Cependant, nous savons que d'autres marchands faïenciers venaient écouler leurs articles dans la capitale régionale, tel ce marchand potier et faïencier du Blanc, en Berry, en 17333.

carte

Cet engouement pour la faïence, outre une évolution des mœurs, est dû également à la mode lancée par Louis XIV qui, ruiné par ses guerres malheureuses, dû envoyer ses pièces d'argenterie et d'or à la fonte4 et remplacer celles-ci par de la céramique. Dès lors, la faveur s'attache aux diverses productions de faïences.


La manufacture de faïence de Limoges

  • La production

Dans ce contexte, le Conseil d'Etat, par un arrêt du 29 Mai 1736, autorise le sieur André Massié à établir une "manufacture de fayancerie" à Limoges5. Celle-ci faisait donc besoin à la province qui, privée de facilités pour s'approvisionner en dehors de ses frontières, ne pouvait dispenser à sa population ce nouvel art de vivre.

Dès lors, Massié accélère son développement : le 14 Juin 1736, il achète à demoiselle Catherine Lajudie, veuve du sieur Martial Arnaud d'Encombe, un terrain d'environ 1 100 m² à l'extérieur de la ville, en bordure de la route de Paris (actuellement rue François Chénieux en regard des numéros 39-47). Le 23 Février 1738 est signée la première pièce connue et datée6. Cependant la production de vaisselle commune a dû démarrer dès l'année précédente, en 1737, comme stipulé dans l'arrêt du Conseil d'Etat. Du reste, un tarif de 1741 donne un exemple de la production commune de cette manufacture7.

Parallèlement à cette production courante, Massié sortit de sa manufacture des pièces "supérieures". Les éléments que nous connaissons à l'heure actuelle semblent avoir été conçus, voire réalisés, par deux catégories d'ouvriers. Ceux travaillant sur la faïence commune et sortant de temps à autre des pièces plus soignées mais encore d'une technique médiocre8 et ceux. venant spécialement de l'extérieur de la province9 et réalisant des pièces sans commune mesure avec la production courante10.

La faïencerie assura une production de 1737 jusqu'en 1771 et même au-delà si l'on se réfère à certains fragments d'encrier trouvés sur le site qui se situeraient chronologiquement autour de 1780.

    • La famille Massié

Nous connaissons encore peu de chose sur la famille Massié. Tout commence avec André Massié (? - 22/09/1763)11 "entrepreneur des ouvrages du roi". Il devait être de condition relativement modeste s'il y a filiation avec Mathurin Massié, architecte et entrepreneur pour le roi, qui fut un temps domestique au service d'un membre de la communauté des prêtres de La Souterraine12. Cela ne l'empêcha pas, comme nous l'avons vu, de créer en 1737 sa manufacture de faïence. Après son décès, son fils Joseph (circa 1712- ?) prit sa succession jusqu'au 1er Mars 1771, date à laquelle il s'associe aux. frères Grellet et au chimiste Nicolas Fournérat pour établir une manufacture de porcelaine. Cependant, celui-ci put conserver le four à faïence, deux meules à broyer et son logement13. Il est à noter que son père, André, passa à côté du secret de la porcelaine (sans le savoir) vers 1738 si l'on en croit Monsieur Millot, ancien chef des fours et du laboratoire des pâtes de la manufacture de Sèvres, en visite à Saint-Yrieix. En effet, Massié, n'ayant pas les connaissances nécessaires, essaya comme terre de faïence du kaolin, qui ne convenait pas pour l'émail14.

Après la vente de la manufacture au roi le 15 Mai 1784, Joseph Massié, âgé alors d'environ 72 ans15, toucha sur la vente 30 000 livres représentant le prix des locaux dont il était encore propriétaire.

Malheureusement, il dut verser cette somme à ses créanciers. Il fut gardé dans la nouvelle manufacture avec le titre de contrôleur (logé, chauffé et éclairé avec des appointements de 1 200 livres par an). Nous nous apercevons en outre que sur cet "état général des salariés" un de ses fils était mouleur-réparateur pour un salaire de 720 livres par an16, et que deux "demoiselles Massié" sont employées comme doreuses-brunisseuses17.

Cependant, la manufacture ne cessait de péricliter et le 1er Avril 178818, Grellet, resté directeur après le rachat par le roi, donna sa démission. Il fut remplacé à ce poste par François Alluaud. En Mai 1788, Joseph était toujours contrôleur avec les mêmes émoluments19. Malgré l'énergie du nouveau directeur, la manufacture était toujours déficitaire et en Décembre 1792/Janvier 179320 Alluaud se désista de ses fonctions. Le contrôleur Massié le remplaça21. Toutefois, celui-ci était trop âgé pour s'occuper d'une telle entreprise et ses finances trop modestes pour faire face à une reprise économique. Il demanda donc plusieurs fois qu'on le relève de sa fonction de directeur qu'il n'avait acceptée qu'à titre provisoire. Néanmoins, il fut maintenu à son poste car aucun commissaire ne fut nommé. Enfin, le 9 Octobre 1796, la manufacture nationale de porcelaine fut vendue à trois anciens ouvriers de la fabrique. Tout travail avait cessé et Massié en gardait les clefs.

D'après une pétition présentée au Conseil Municipal de Limoges le 30 Avril 1797, la famille Massié ne possédait en tout et pour tout qu'une petite maison dans la commune de la dite ville.