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RECHERCHES SUR LE SITE MEDIEVAL DE CHÂLUCET (SAINT-JEAN-LIGOURE), TRAVAUX DE 19991

Patrice CONTE et Christian REMY

 

Bulletin de la Société Archéologique et Historique du Limousin

Tome CXXVIII, 2000, p. 293-302

 

 

 

En 1999, parallèlement aux travaux de cristallisation, le site de Châlucet a profité de diverses investigations archéologiques. Le château-bas a bénéficié d'une deuxième campagne de fouille program- mée. En outre, le château-haut a été l'objet d'une vaste étude archéologique et monumentale. De plus, une opération limitée, portant sur un édifice à contreforts situé sur l'enceinte entourant le château-haut, a été réalisée dans le cadre du suivi archéologique des travaux de mise en sécurité et de restauration des ruines2. Enfin, les recherches historiques se sont poursuivies.
Quelques rappels
On peut rappeller brièvement que le site castral de Châlucet a été retenu comme site majeur dans le contrat de plan Etat-Région, qu'il bénéficie de financements importants suscités et fédérés par le Conseil général (devenu propriétaire en 1997) afin d'en assurer l'étude et la préservation, et qu'à moyen terme l'ensemble du site d'éperon de confluence (avec le parc du domaine de Ligoure) sera ouvert au public et ne manquera de s'imposer - aux portes de Limoges et en bordure d'autoroute - comme un référent culturel et touristique majeur dans la région. Voilà pour les aspects contractuels3.
Sur un plan plus scientifique, on rappellera que le site de Châlucet a l'avantage de présenter deux structures castrales différentes quoique juxtaposées. En effet, le Ras-Châlucet (le « castrum inferius ») conserve des vestiges dont la fourchette chronologique estimée par les témoi- gnages de la documentation écrite vont du XIIe au XVIe siècle. Les fouilles en cours devront, à terme, infirmer ou confirmer ce postulat. En tout cas, l'espace castral organisé autour de la tour « Jeannette », bien que très détruit dans ses élévations, ne semble pas a priori avoir souffert de récupération massive des matériaux, de vandalisme et encore moins de perturbations liées à l'évolution d'un espace urbain jusqu'à nos jours (ce qui est le cas d'anciens castra comme Aixe ou Le Dorat). Il représente donc l'un des rares cas de castrum fossile du Limousin.
L'étude archéo-monumentale du Haut-Châlucet
Le bureau Hadès a mené son étude durant l'année 1999, avec un temps fort durant l'été. Elle a consisté en un relevé archéologique de l'ensemble des architectures du « château neuf ». Le plan d'ensem- ble a été corrigé. Tous les éléments stylistiques (sculptures, moulures) ou fonctionnels (portes, fenêtres, etc.) ont été photographiés et dessinés. L'ensemble des planches ainsi constitué, accompagné de commentaires, d'explications et de mises en perspective, servira de base de travail et de réflexion aux futurs projets d'aménagement mais aussi aux futurs chercheurs. Parallèlement, une série de sondages a été effectuée en différents endroits du château afin de documenter les stratigraphies et d'apporter des informations nouvelles sur le plan, sur l'agencement et le fonctionnement des bâtiments et sur l'évolution des édifices. De fait, ces sondages ont apporté de nom- breux renseignements totalement inédits. De nouvelles sculptures ont été mises au jour, notamment des chapiteaux de piliers et des éléments de nervure (portant des traces de peinture). Des carreaux de pavage, dont tout un lot en place, vont enrichir le corpus déjà existant. On a identifié des sols, des canalisations, un fossé inédit sur le front sud. Les points essentiels de cette étude seront présentés dans le bilan de l'an prochain4.
L'origine du château-haut et son commanditaire
Le Haut-Châlucet (le « castrum superius »), à l'origine sans doute assez proche structurellement de son voisin évoqué ci-dessus, a été profondément bouleversé par la réalisation d'un vaste palais fortifié en son coeur. On connaît beaucoup mieux aujourd'hui les circonstances d'édification de cet ensemble monumental extraordinaire5. Ce « châ- teau neuf » du Haut-Châlucet a été bâti en quelques années seule- ment, à la fin du XIIIe siècle, par maître Géraud de Maulmont. Ce personnage, assez bien documenté - « premier ministre » des vicomtesses Marguerite de Bourgogne (1263-1277) puis de Marie (1277-1291), chanoine du Puy, de Lyon, de Bourges, de Limoges, abbé du Dorat, clerc et conseiller d'Alphonse de Poitiers (jusqu'en 1271) puis des rois Philippe le Hardi et Philippe le Bel au parlement de Paris -, a accumulé durant sa vie de nombreuses seigneuries. Il apparaît aujourd'hui évident que le château neuf de Châlucet est l'oeuvre de ce légiste des rois de France. Ses sources de revenu étaient suffisamment variées et importantes pour permettre le finance- ment d'un tel chantier. Le palais fortifié qu'il fit bâtir à Châlucet était sans aucun doute le plus impressionnant. Mais il construisit également les manoirs de Châlus-Maulmont, de Bourdeilles6, et les châteaux de Courbefy et de Châlus-Chabrol. On sait qu'il avait fait construire à Aixe, en dehors de l'enceinte du « verteil »7, un autre manoir, qu'il possédait un « fort » dans le bourg de Saint-Pardoux-la- -Rivière, et quelques biens dans la Cité de Limoges. Les réalisations de maître Géraud de Maulmont présentent de multiples points communs. Il s'agit généralement de plans quadrangulaires, souvent munis de tours de flanquements à archères cruciformes ; les logis sont abrités derrière un puissant mur-écran ; les parties résidentielles sont munies de baies en partie vitrées, de nombreuses latrines, de sculptures, de pavages ornementaux8. La grande cohérence structu relle et stylistique que l'on constate entre les monuments cités plus hauts s'explique par l'identité du commanditaire : maître Géraud de Maulmont a financé, entre 1268 et 1299, plusieurs palais totalement hors normes en Limousin-Périgord. Châlucet est le mieux conservé et sans doute le plus vaste de cette série (fig. 1 et 2).
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Fig. l. - Châlucet -Haut : Un décor de théâtre. Photographie du revers de la façade nord. On note l'absence de cheminement au revers du crénelage (photo : C. Rémy).
La fouille programmée sur le Bas-Châlucet : premières données sur les maisons du castrum et son enceinte
Les travaux de 1999 ont porté sur trois secteurs du château (fig. 3): sur le flanc nord-ouest de l'enceinte, sur la seule maison possédant encore une élévation sur le tracé du front fortifié à l'ouest, enfin sur une groupe de bâtiments situés au centre de l'agglomération.
La fouille contre l'enceinte occidentale du castrum (A, fig. 3) a permis de compléter les données de 19989, en particulier sur la partie inférieure de la construction. Dans la zone reconnue sur une surface d'environ 30 m2, la base du mur a pu être identifiée : elle repose sur quelques assises légèrement débordantes et irrégulières.
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Fig. 2. - Châlucet-Haut : Élévation partiellement restituée du revers de fa façade nord. La trame foncée suggère la tour d'angle dont il ne subsiste aujourd'hui que la hase, la trame claire indique les arrachements des voûtes (relevés J.-Cl. Grany et C. Rémy).
Contrairement à ce que suggéraient initialement la présence d'une forte pente vers la Ligoure et celle de nombreux blocs de pierres, le dépôt en pied de mur est peu important et le substrat est atteint à faible profondeur (entre 0,20 et 0,30 m). En fait, la pente du terrain à cet endroit est le résultat de l'aménagement délibéré d'une escarpe rocheuse destinée à renforcer la défense dans cette zone. En contrebas, un espace plan d'environ 3 m. de large détermine une terrasse qui a certainement également servi de chemin le long de l'enceinte occidentale.

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Fig. 3. - Castrum de Châlucet-Bas : Plan partiel de la partie nord du castrum, état 1999. Les zones tramée au point correspondent aux secteurs fouillés en 1999. Murs hachurés : murs reconnus en fouille. Équidistance des courbes : 1 mètre. A l'extrême gauche : la tour Jeannette (relevés : fonds Cabinet Veyrier, complété par l'équipe de recherches archéologiques. E.RA.C., dessin : P. Conte).
La seconde zone étudiée correspond à une partie de l'espace interne du seul bâtiment portant encore une élévation significative dans le secteur du village. Cette élévation10, étudiée en 1998 par B. Pousthomis11 dans le cadre des interventions préalables aux travaux de stabilisation et de mise en sécurité des ruines, comporte quatre niveaux sur une hauteur totale de 12 m. Elle forme le mur occidental d'une bâtisse à plan rectangulaire (mais proche du carré : 5,10 sur 6,80 m), soit une superficie interne d'environ 35 m2. Ce haut mur possède trois retraites qui déterminent quatre niveaux d'étages. Chaque étage possède une baie vers l'ouest, côté Ligoure, mais seules celles des ler et 2e étages sont équipées de coussièges, ce qui permet d'attribuer une fonction résidentielle à ces deux niveaux. La fouille de 1999 n'a porté, pour des raisons de sécurité, que sur l'angle interne de ce mur et du mur sud du bâtiment12. L'espace dégagé correspond à un rez-de-chaussée, peut-être légèrement enterré comme le laisse supposer le décrochement situé au bas d'une nouvelle ouverture - probablement l'accès à la pièce - découverte dans le mur sud. Une banquette aménagée le long du parement interne du mur ouest équipe cette salle basse. La baie, en situation haute dans le mur, devait comporter une simple fente d'éclairage; elle évoque celles, de plus grandes dimensions, que l'on peut observer dans certains rez-de-chaussée du Haut-Châlucet. Le mobilier archéologique recueilli au pied de la banquette comprend fragments céramiques et ossements animaux. La céramique oriente la datation de la dernière occupation de cette salle entre le milieu du XIIIe s. et la fin du XIVe s.

L'essentiel du chantier 1999 a cependant porté sur le « coeur » de l'agglomération située au nord de la tour « Jeannette ». A partir des premiers vestiges mis au jour lors du sondage de 1998, l'équipe a mené sur quelque 160 m2 un décapage destiné à percevoir rapidement l'emprise des bâtiments et leur organisation. La fouille 1999 confirme la présence d'un bâtiment à vocation résidentielle repéré en 1998. C'est une construction à plan quadrilatère irrégulier d'une superficie interne de 57 m2 (C, fig. 3). Bien que sa fouille ne soit pas totalement achevée, de nombreux aménagements ont pu être étudiés. Ce bâtiment possédait à l'origine un étage (ou comble aménagé ?), sa toiture était formée de tuiles à rebord13 et de tuiles courbes dont on a retrouvé de nombreux exemplaires dans la couche d'effondrement. Le nombre d'ouvertures reste délicat à préciser vu le degré d'arasement des murs. Deux accès ouvraient, l'un vers l'est sur une rue, l'autre vers l'ouest vers un autre bâtiment. Dans ce dernier cas, on notera que les deux constructions étaient mitoyennes. Une baie située dans le mur oriental, près de la porte, dispensait l'éclairage naturel du rez-de-chaussée du bâtiment. Sa disposition permettait également l'éclairage de la descente de cave. La fouille de l'espace interne de la construction a livré de nombreux autres aménagements : foyer construit ou simple zones de combustion, banquette située le long du mur sud14, restes probables d'une cloison en matériaux légers délimitant une partition du volume interne.

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Fig. 4. - Castrum de Châlucet-Bas : La cave du bâtiment central (secteur 4, unité II). Débouché de l'escalier d'accès dans la salle. On remarque les marches taillées dans le rocher. A droite : une niche entourée des impacts d'outil de creusement (mire de 1 mètre) (photo : P. Conte.
Dans le même bâtiment, une vaste cave aux contours irréguliers a été intégralement fouillée (fig. 4). Elle s'étend sous le bâti jusqu'à la construction mitoyenne située à l'ouest. Par ses dimensions (33,5 m2) et l'aménagement de son accès - escalier à simple volée de 15 marches et entrée maçonnée équipée d'une porte à linteau en arc surbaissé - cette cavité s'apparente plus aux espaces souter- rains urbains tels ceux que l'on peut encore observer à Limoges sous la Cité ou le Château qu'aux cavités rurales médiévales. La cave étudiée, par ses dimensions et la qualité de son architecture témoigne de l'importance des espaces de stockage au sein des maisons du castrum de Châlucet. Certains indices, qui restent d'ailleurs à confirmer lors des prochaines campagnes, laissent penser que ce type d'aménagement a pu être fréquent sur le site. Du point de vue du mobilier archéologique, le remplissage de la cave a livré, sous les importants remblais d'occlusion de la galerie d'accès, quelques objets métalliques (éléments d'huisserie) et des éléments de plusieurs poteries à usage domestique (marmites, pichets ou cruches). Ce matériel est comparable à celui découvert sur le sol d'occupation du bâtiment qu'une monnaie 15 contribue également à situer dans la deuxième moitié du XIVe s. ou au début du XVe s. (fig. 5).
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Fig. 5. - Castrum de Châlucet-Bas Mobilier céramique médiéval de la cave (secteur 4, unité 11). 1 à 3 : marmite (oule) en pâte grise. 4 à 7 : rebords de formes fermées (cruches ou pichets) en pâte ocre-orange. Les rebords 6 et 7 portent une glaçure extérieure verte. 8 à 10 (et n° 6) : décors en relief des formes ouvertes en pâte ocre-orange. 6 et 9 : décor d'écailles sous glaçure verte. 8 et 10 : décor de pastilles en relief sous glaçure verte. On note également pour le fragment n° 8 des coulures de glaçure brune. 11 et 12 : fragments de vases à paroi fine et blanche, glaçure translucide blanchâtre et décors de ligne verte (n° 11) et brune (n° 12); ces deux tessons sont probablement des céramiques originaires de Saintonge. 13 et 14 : fragments de bases de formes fermées (dessin : M. Liboutet, E.R.A.C.).
La seconde campagne du programme 1999-2001 s'attachera a étendre l'emprise de la fouille aux bâtiments contigus, avec l'objectif d'étudier de la manière la plus précise un îlot d'habitations du village castral, en complétant ponctuellement les données sur l'enceinte, avant d'étudier la tour « Jeannette » et les bâtiments qui lui sont directement associés.

(1) Cf. P. CONTE. « Nouvelles recherches... », BSAHL , CXXVII. 1999, P. 278-- 284.
(2) Réalisé par une équipe du Bureau d'études archéologiques Hadès (dir. B. Pousthomis).
(3) Dans ce but, une étude de mise en valeur touristique a été commandée par le Conseil général à un cabinet spécialisé en la matière.
(4) Le bilan de ces recherches étant actuellement en cours d'élaboration, il n'a pas été possible d'introduire dans cette chronique les résultats des travaux engagés sous la direction de B. Pousthomis. Pour un premier compte-rendu de cette importante opération, ainsi que pour l'intervention sur le bâtiment à contreforts situé sur le tracé de la lice, se reporter au Bilan Scientifique Régional 1999 édité par le Service Régional de l'Archéologie (DRAC, ministère de la Culture)
(5) Ch. RÉMY, « Châlucet, le Limousin et l'architecture de flanquement", art. à paraître dans les Actes du colloque consacré aux Fortifications dans les espaces Plantagenêt. XIIe-XIIIe siècles, qui s'est déroulé à Poitiers, en 1994. Du même, Le château de Châlucet et le patrimoine de maître Géraud de Maulmont, mém. de DEA inédit, Univ. Poitiers, 1995. Du même, dans une version " tout public » Châlucet. Dans le mystère d'une forteresse médiévale, CD-Rom, édité par Ultime, Limoges, 2000. Enfin, toujours du même mais avec l'appareil critique, « Châlucet et les châteaux de maître Géraud de Maulmont », dans Bulletin monumental, à paraître.
(6) J.-P. BABELON et Ch. RÉMY, « Les châteaux de Bourdeilles », Congrès archéologique de Périgord, Paris, 1999, p. 119-142.
(7) Sur cette enceinte basse du castrum d'Aixe, cf. A. PETIT, « Les boiseries de la chapelle des Du Barry dans le Verteil d'Aixe, XVe siècle », BSAHL, LXXIII-2, 1931, p. 500-507.
(8) La collection de carreaux de pavement provenant du « château neuf » de Châlucet, constituée par des dons et diverses opérations de fouilles, est actuelle- ment à l'étude (P. Conte) et devrait être publiée prochainement.
(9) P. CONTE, « Nouvelles recherches... », op. cit., note 1. : voir plan (fig. 1, p. 280). La zone concernée porte le numéro 1.

(10) Ibid., fig. 1, p. 280 : zone C (ici : B, fig. 3).

(11) Voir description dans B. POUSTHOMIS « Saint-Jean-Ligoure, Châlucet », Bilan Scientifique 1998. Service Régional de l'archéologie. Direction Régionale des Affaires Culturelles du Limousin, Limoges, 1999, p. 49-50.

(12) Sur 6,5 m2 soit 20 % environ de la surface interne.

(13) P. CONTE, « Nouvelles recherches... », op. cit., note 1 (voir fig. 2, p. 283).

(14) C'est donc le deuxième exemplaire d'un tel aménagement sur le site. Pour rare qu'il soit en Limousin cet équipement de la maison est fréquent dans les castra méridionaux comme à Durfort (Tarn) ou Cabrières (Hérault) par exemple. Voir M. G. COLIN, I. DARNAS, N. POUSTHOMIS, L. SCHNEIDER (ss. la dir.), «La maison du Castrum de la bordure méridionale du Massif Central ", Archéologie du Midi Médiéval, Supplément 1, Carcassonne, 1996, 221 p.